Nous quittons provisoirement notre livre du Deutéronome pour retrouver un passage très important de l’évangile de Matthieu, abordé chez Marc 8, 31-33 et chez Luc 9, 18-22. C’est un passage qui se trouve juste avant la Transfiguration, un passage dans lequel Matthieu cherche à nous renseigner sur qui est Jésus, en peignant sa figure au sein des portraits de la Bible.
Ce passage de Matthieu traite de deux sujets simultanément : la question de l’identité de Jésus, appelant la fameuse confession de Césarée, puis celle de la construction d’une église qui lui succède.
Concernant le premier point, la question de Marc comme de Luc est de demander « pour vous et pour les autres, qui suis-je ? ». Chez Matthieu, la question est tout de suite orientée vers le terme de « fils de l’homme », un terme de l’apocalypse juive pour nommer le juge eschatologique (Daniel 7.13 « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec les nuées du ciel venait comme un Fils d'Homme ; il arriva jusqu'au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence »). Nous l’avons déjà constaté de nombreuses fois, Matthieu est un juif qui s’adresse à des juifs en empruntant un langage juif.
On s’en rend compte dans la réponse également, la fameuse confession de Pierre. Chez Marc ce sera « tu es le Christ », chez Matthieu « tu es le Christ, Fils du Dieu vivant » et chez Luc enfin, ce sera « tu es le Christ de Dieu ». Pour mémoire, Christ en grec veut dire « oint », qui a reçu l’onction, un envoyé très spécial. Ce terme de Fils de Dieu sera repris par Matthieu dans la barque prise dans la tempête, puis à la vue du tremblement de terre au moment de succomber ; il sera enfin repris dans la question de Caïphe qui interroge Jésus dans le Sanhédrin.
Ce passage est important pour plusieurs raisons :
La question « pour vous qui suis-je ? » n’est toujours pas fermée, tant sont nombreux ceux qui se la posent encore aujourd’hui. L’Eglise a choisi pendant des siècles de comprendre la question de Jésus comme un point concernant la nature de Jésus, avec toutes les élaborations complexes que nous connaissons sur la christologie, nature divine et nature humaine du Christ. Ce n’est pas certain que c’est à cela que pensais Jésus…
La réaction de Pierre, appelée la confession de Pierre à Césarée, est la grande phrase de Matthieu dans laquelle Pierre proclame le lien direct entre Dieu et Jésus ; quand il dit « fils du Dieu vivant », il fait appel à un concept juif qui veut que c’est parce qu’il est vivant que Dieu vient s’immiscer dans la vie de son peuple. On se demande à juste titre si Pierre s’est exprimé en son nom propre ou au nom du groupe…On remarquera que dans les évangiles synoptiques, Jésus ne se présente jamais comme Fils de Dieu, c’est Pierre qui lui donne ce titre.
Juste après cette déclaration, Jésus va annoncer sa passion et sa résurrection. En fait, nul ne sait si Jésus a vraiment annoncé sa résurrection, et de toute façon, on pense que ce ne fut pas aussi tôt ; les exégètes penchent à l’heure actuelle sur le fait que Jésus ait annoncé sa passion au moment du dernier repas, sans pour autant parler de sa résurrection, à moins que ce ne soit au repas de Jésus ressuscité en Jean 21, lorsque Jésus interroge Pierre « m’aimes-tu’ ». Nous avons bien du mal à discerner si les mots rapportés sont ceux des évangélistes ou de Jésus lui-même.
Vient ensuite la question de la construction de l’Eglise. Le v.18 est très particulier, car il est à la base des disputes entre l’église principale, celle de Pierre, et les églises dérivées, comme celle des réformateurs. Nombreux sont ceux qui mettent en cause le fait que Jésus ait voulu donner à Pierre une exclusivité sur la gestion de son église. Luther faisait remarquer que Jésus n’a pas délégué à Pierre la construction de l’Eglise, et que ce qui était destiné à Pierre ne l’était pas forcément de ses successeurs. Le point est d’autant plus important que Matthieu nous présente la question des clefs : Jésus aurait délégué à Pierre de décider qui pouvait entrer et qui devait sortir ! De quoi échauffer des foules !
Bref, ça n’empêche que répondre à la question de Jésus « pour vous qui suis-je ? » reste assez difficile, pour nous aussi. Pour Matthieu, il ne pouvait y avoir plusieurs réponses.
Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus interrogeait ses disciples : « Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ? »
Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Elie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Il leur dit : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Prenant la parole, Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. »
Reprenant alors la parole, Jésus lui déclara : « Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et la Puissance de la mort n’aura pas de force contre elle. Je te donnerai les clés du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. »
Commentaire
Nous quittons provisoirement notre livre du Deutéronome pour retrouver un passage très important de l’évangile de Matthieu, abordé chez Marc 8, 31-33 et chez Luc 9, 18-22. C’est un passage qui se trouve juste avant la Transfiguration, un passage dans lequel Matthieu cherche à nous renseigner sur qui est Jésus, en peignant sa figure au sein des portraits de la Bible.
Ce passage de Matthieu traite de deux sujets simultanément : la question de l’identité de Jésus, appelant la fameuse confession de Césarée, puis celle de la construction d’une église qui lui succède.
Concernant le premier point, la question de Marc comme de Luc est de demander « pour vous et pour les autres, qui suis-je ? ». Chez Matthieu, la question est tout de suite orientée vers le terme de « fils de l’homme », un terme de l’apocalypse juive pour nommer le juge eschatologique (Daniel 7.13 « Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec les nuées du ciel venait comme un Fils d'Homme ; il arriva jusqu'au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence »). Nous l’avons déjà constaté de nombreuses fois, Matthieu est un juif qui s’adresse à des juifs en empruntant un langage juif.
On s’en rend compte dans la réponse également, la fameuse confession de Pierre. Chez Marc ce sera « tu es le Christ », chez Matthieu « tu es le Christ, Fils du Dieu vivant » et chez Luc enfin, ce sera « tu es le Christ de Dieu ». Pour mémoire, Christ en grec veut dire « oint », qui a reçu l’onction, un envoyé très spécial. Ce terme de Fils de Dieu sera repris par Matthieu dans la barque prise dans la tempête, puis à la vue du tremblement de terre au moment de succomber ; il sera enfin repris dans la question de Caïphe qui interroge Jésus dans le Sanhédrin.
Ce passage est important pour plusieurs raisons :
La question « pour vous qui suis-je ? » n’est toujours pas fermée, tant sont nombreux ceux qui se la posent encore aujourd’hui. L’Eglise a choisi pendant des siècles de comprendre la question de Jésus comme un point concernant la nature de Jésus, avec toutes les élaborations complexes que nous connaissons sur la christologie, nature divine et nature humaine du Christ. Ce n’est pas certain que c’est à cela que pensais Jésus…
La réaction de Pierre, appelée la confession de Pierre à Césarée, est la grande phrase de Matthieu dans laquelle Pierre proclame le lien direct entre Dieu et Jésus ; quand il dit « fils du Dieu vivant », il fait appel à un concept juif qui veut que c’est parce qu’il est vivant que Dieu vient s’immiscer dans la vie de son peuple. On se demande à juste titre si Pierre s’est exprimé en son nom propre ou au nom du groupe…On remarquera que dans les évangiles synoptiques, Jésus ne se présente jamais comme Fils de Dieu, c’est Pierre qui lui donne ce titre.
Juste après cette déclaration, Jésus va annoncer sa passion et sa résurrection. En fait, nul ne sait si Jésus a vraiment annoncé sa résurrection, et de toute façon, on pense que ce ne fut pas aussi tôt ; les exégètes penchent à l’heure actuelle sur le fait que Jésus ait annoncé sa passion au moment du dernier repas, sans pour autant parler de sa résurrection, à moins que ce ne soit au repas de Jésus ressuscité en Jean 21, lorsque Jésus interroge Pierre « m’aimes-tu’ ». Nous avons bien du mal à discerner si les mots rapportés sont ceux des évangélistes ou de Jésus lui-même.
Vient ensuite la question de la construction de l’Eglise. Le v.18 est très particulier, car il est à la base des disputes entre l’église principale, celle de Pierre, et les églises dérivées, comme celle des réformateurs. Nombreux sont ceux qui mettent en cause le fait que Jésus ait voulu donner à Pierre une exclusivité sur la gestion de son église. Luther faisait remarquer que Jésus n’a pas délégué à Pierre la construction de l’Eglise, et que ce qui était destiné à Pierre ne l’était pas forcément de ses successeurs. Le point est d’autant plus important que Matthieu nous présente la question des clefs : Jésus aurait délégué à Pierre de décider qui pouvait entrer et qui devait sortir ! De quoi échauffer des foules !
Bref, ça n’empêche que répondre à la question de Jésus « pour vous qui suis-je ? » reste assez difficile, pour nous aussi. Pour Matthieu, il ne pouvait y avoir plusieurs réponses.
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