La première partie du passage est centrée sur la prière, ce qui est bien vu en temps de carême. Luc remplacera le pain/pierre par l’œuf/scorpion, mais ça n’a que peu d’importance. Replacé dans le contexte de la relation d’un fils avec son père, c’est facile à comprendre. Il n’en reste pas moins que dans le cas de la relation à Dieu, il semble que souvent celui-ci est un père un peu dur d’oreille : certes il n’envoie pas le serpent, mais il n’envoie pas grand-chose du tout…faut-il encore frapper à la bonne porte et savoir se faire entendre. Il me semble que l’on s’éloigne un peu du strict Notre-Père, qui lui ne parle que de la volanté du Père, et non de la mienne…C’est pour cela que Jean suggère « tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai » Jn 14.14
Le dernier paragraphe mérite un peu plus d’attention, il est ce qu’on appelle la Règle d’Or. On la trouve au livre de Tobie 4.15 « ce que tu n’aimes pas, ne le fais à personne » Elle est présentée d’une manière un peu différente dans le Lévitique19.18 « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Elle est dans le monde juif tout-à-fait cohérente avec le principe de la réciprocité de la loi du Talion : on rend avec la même quantité sur un pied d’égalité. On dit qu’Hillel, un des grands exégètes juifs de l’an -100, auraient répondu à un élève qui voulait un résumé des textes de l’Ancien Testament : « Tout ce qui te paraît malfaisant, ne le fais à personne. C’est toute la Torah, le reste n’est que commentaire. Va et apprend ».
On se souvient que Jésus n’était pas très convaincu par cette loi du Talion qui certes, essayait de casser l’engrenage de la vengeance qui dans les premiers livres de la bible fonctionnait puissance7, mais qui à la fin, n’enrayait pas la spirale de la violence. Et donc Jésus préférait de tendre l’autre joue et de donner le manteau…
C’est ici la même chose : on passe de l’énoncé négatif (si tu ne veux pas, ne fais pas) à une formulation positive (ce que tu aimerais qu’on te fasse, fais-le, sachant que la gratitude n’est pas forcément une règle dans ce bas-monde), mais Jésus ira plus loin que cette simple pirouette littéraire, car en fonction de la loi de l’amour, on doit faire le bien à son prochain sans même penser à sa rétribution. C’est la grande différence entre l’amour « Eros » en grec, un amour qui attend un retour, avec l’amour « Agapè » qui est lui un amour absolument gratuit, sans aucune attente de retour.
On retrouve cette règle d’or dans toutes les religions du monde, Kant la voyait comme une base de la moralité universelle (une action morale accomplie par une volonté libre). Elle a été un sujet d’étude du philosophe Paul Ricoeur, qui a essayé de faire le lien entre son interprétation philosophique et son interprétation théologique.
L’objectif de Jésus : dépasser la réciprocité.