Nous avons lu la version de Marc 4, 10-12 le 26 janvier dernier.
Le livre d’Esaïe est un gros pavé probablement écrit en 3 époques différentes, qui s’étalent de -700 à -500. La citation qu’utilisent Marc et Matthieu se trouve dans la 1ère partie, la plus ancienne, au moment où la Syrie et Israël (capitale Samarie, le Royaume du Nord) luttent pour se défendre contre l’Assyrie. En Juda, le roi Ozias (-795/-740) est atteint de la lèpre (une maladie divine pour avoir voulu empiéter sur le pouvoir des prêtres selon le livre des Chroniques), enfermé et incompétent, « mort avant de mourir ». A sa vraie mort, son petit-fils Akhaz hésite entre faire un pacte avec l’Assyrie, ou se convertir à Dieu et résister lui-aussi. Esaïe a une vision et essaie de convaincre le roi de Juda et son peuple de se convertir et de résister lui-aussi, mais en vain. Dieu rend son jugement et condamne Jérusalem à une mort certaine, et il commande à Esaïe de faire en sorte que le peuple ne puisse ni comprendre, ni se convertir au dernier moment, pour être certain qu’il devra affronter le châtiment divin.
Esaïe 6, 9-10, l’endurcissement du peuple :
6.9 Il dit : « Va, tu diras à ce peuple : Ecoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais sans reconnaître.
6.10 Engourdis le cœur de ce peuple, appesantis ses oreilles, colle-lui les yeux ! Que de ses yeux il ne voie pas, ni n'entende de ses oreilles ! Que son cœur ne comprenne pas ! Qu'il ne puisse se convertir et être guéri ! »
On voit donc que c’est par désespoir que Dieu donne cette mission au prophète de boucher les yeux, le cœur et les oreilles du peuple, ce qui correspond à la tradition biblique pour dire les verbes voire, écouter et comprendre. Dans le passage de Matthieu, on comprend que cette endurcissement du peuple est le fruit de son incompréhension et de son péché, dans la version de Marc et dans celle d’Esaïe, c’est bien le geste de Dieu qui veut s’assurer que son peuple va effectivement ne pas pouvoir échapper à sa punition.
Revenant à Matthieu et à l’opposition entre la nouvelle église et les synagogues, identifiées ici par le peuple juif et les disciples, il veut expliquer que les disciples chrétiens ont reçu de Dieu quelque chose en plus que les juifs n’ont pas, et qui leur permet de croire et de comprendre (ou l’inverse). A ceux qui ont déjà la foi, il sera encore plus donné pour qu’ils aient la connaissance complète des mystères du Royaume (les fameuses choses cachées). Pour ce qui ne l’ont pas, ceux-là ne vont rien y comprendre, et ils ne recevront rien du tout.
Matthieu utilise donc lui aussi ce passage du prophète Esaïe sur l’endurcissement du peuple pour montrer que le désespoir de Jésus envers le peuple juif qui refuse de croire est tout-à-fait le même que celui de Dieu 700 ans auparavant, devant le refus du peuple de Juda de lutter contre l’Assyrie. Mais chez Esaïe, c’est Dieu qui rend sourd alors que chez Matthieu, les juifs se sont mis en repli tout seuls.
La réponse à la question sur l’usage des paraboles ne vient qu’au dernier verset : c’est parce que le message de nombreux prophètes n’est pas passé que Jésus doit se mettre à l’exercice des paraboles pour se faire comprendre.