Il s’agit d’un petit passage repris par les autres évangéliste qui nous paraît très simple, que l’on comprend facilement et que l’on peut appliquer de nos jours : ceux qui ont grandi dans une petite ville de province comprennent la réaction que peuvent avoir certains anciens copains de classe en face d’un camarade qui aurait brillamment réussi à la capitale.
C’est en fait un peu plus compliqué.
L’origine du texte est probablement des apôtres eux-mêmes, qui ont voulu raconter de quelle manière un certain nombre de groupes d’opposition sont venus perturber l’œuvre de leur maître à Jérusalem : il s’agit bien entendu des juifs, mais aussi de la famille directe de Jésus ou de quelques provinciaux jaloux. Si Marc ne spécifie pas l’endroit, ses collègues diront que cela s’est passé à Nazareth. On remarquera que Marc ne nomme pas le père Joseph (contrairement aux autres), qu’il donne le lien avec les noms de Marie et de 4 frères ; on ne dit pas le nom des sœurs, qui sont probablement restées sur place à l’ombre de leurs maris.
Marc nous dit que Jésus était charpentier, il aurait donc laissé son travail pour se mettre en mission religieuse ? Nous avons donc un charpentier modeste et de père inconnu, issu d’une famille tout-à-fait ordinaire.
Il faut savoir que la passion pour Marie est un phénomène assez tardif, Marc ne montre aucun intérêt pour la virginité proclamée par certains chrétiens. Le fait que l’on rapproche le nom de Marie de celui de Jésus est assez surprenant : à l’époque, on a l’habitude de préciser l’identité en citant le nom du père (fils de untel), si on identifie une personne par le nom de sa mère, cela signifie que le père a eu d’autres enfants avec d’autres femmes…voilà qui nous emmène un peu loin.
Les anciens voisins de Jésus sont estomaqués d’entendre les prêches de Jésus et de voir ses miracles. A l’époque, pour être menuisier ou charpentier, il fallait être un grand costaud, une image loin du gringalet cloué sur les crucifix de nos maisons ou de nos campagnes. Un menuisier spirituel, c’est vraiment choquant.
Ce qui peut être choquant aussi, c’est qu’à priori, si on en croit cette histoire, les capacités de guérisseur de Jésus sont terriblement affectées par son état psychique : non seulement le grand costaud est un intellectuel, mais en plus, c’est un émotif. Il est certainement vrai que les activités paranormales peuvent être affectées par une ambiance mauvaise (« bad vibes » comme on dit dans certains milieux), on se souvient de la queue du chat des Frères Jacques qui empêchait l’esprit d’être là. C’est probablement parce que ça ne faisait pas très sérieux que quelqu’un a dû rajouter un peu plus tard que quand même, il y avait quelques guérisons avec les mains…
Si les voisins sont incrédules, Jésus est surpris de cette incrédulité et il paraît en être terriblement affecté. Ils croyaient bien le connaître…
Il y a derrière ce texte deux réflexions qui interpellent :
- La première est que les miracles ne marchent pas à Nazareth (on se souvient qu’à la synagogue de Capharnaüm on lui reprochait de ne pas faire de miracles). On ne comprend pas si cette panne vient de l’incrédulité du public ou si c’est à cause du choc ressenti par Jésus en constatant le mauvais accueil du public qu’il est devenu incapable. Chez Jean, Jésus insistera sur le fait que c’est son père qui fait le miracle…qu’en penser ?
- La seconde porte sur la christologie. Si Jésus est Dieu, il est normal qu’il fasse des beaux prêches à la synagogue et qu’ils puisse faire des miracles. Ceux qui sont surpris ne sont donc pas au courant de sa véritable nature. Si Jésus est un homme issu de cette famille moyenne de province, alors c’est en effet très surprenant qu’il soit capable de tout cela, et on commence à se dire qu’il est devenu « habité » par Dieu. Nous avons là typiquement un exemple de la difficulté de comprendre la nature de Jésus, et on comprend mieux pourquoi les exégètes se sont tant excités sur les concepts de double nature.
La seule chose que voulait faire Marc probablement était de raconter l’indignation des apôtres en face du comportement de certains proches de Jésus, des empêcheurs de tourner rond. Pas facile d’être simple avec l’histoire de Jésus.