Ce passage peut paraitre un peu confus car l’évangéliste Marc a choisi de concentrer en quelques lignes plusieurs éléments de tradition orale qui ne sont pas forcément liés. On distingue en fait 3 parties : les versets 27/30 constituent la fameuse confession de Pierre, les 31/33 sont la 1ère annonce de la passion et de la résurrection, avec la réaction de Pierre, et puis les v.34/35 sont déjà le début de l’enseignement aux disciples sur le sacrifice de soi qui nous mènera jusqu’en 9.1.
On se souvient que la découverte de l’identité réelle de Jésus constitue la colonne vertébrale de l’évangile de Marc. Très clairement, la confession de Pierre, comme on appelle cette déclaration « tu es le Christ » est une étape forte, mais une étape seulement puisqu’il nous faudra aller un peu plus loin, jusqu’au « fils de Dieu » exprimé par le Centurion au pied de la Croix. Les premiers mots sur l’impression des gens est très proche des versets 14/16 du chapitre 6, quand Hérode se demande qui peut bien-être ce Jésus dont on lui parle. La déclaration de Pierre montre clairement que les disciples ont raison, qu’ils ont bien compris que Jésus était un envoyé très spécial, « oint » par Dieu comme l’étaient les rois de l’époque et du moyen âge.
Il y a une discussion de spécialistes pour savoir si le commandement de Jésus de ne rien dire fait partie de la technique littéraire de Marc qui serait de créer un fameux « secret messianique » pour garder un effet de surprise au moment de la fin de l’ouvrage, ou si c’est tout simplement un message clair de Jésus de faire passer l’humilité, le service et le sacrifice comme les points centraux du prêche des disciples, sans mettre en valeur sa nature divine.
Pierre ne voit pas venir le piège, tant il est fier de sa confession. Mais il y a une erreur sur le modèle de Messie. Pierre en est resté à l’image du Messie juif, celui qui viendra sur un trône de gloire pour virer les romains et rendre à Israël sa grandeur d’antan. Il refuse l’option que lui propose Jésus, qui est plutôt celle du serviteur soufrant que l’on trouve dans le 1ère lecture d’aujourd’hui, en Esaïe 50.4 :
« Le Seigneur DIEU m'a donné une langue de disciple : pour que je sache soulager l'affaibli, il fait surgir une parole. Matin après matin, il me fait dresser l'oreille, pour que j'écoute, comme les disciples. Le Seigneur DIEU m'a ouvert l'oreille. Et moi, je ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière. J'ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, mes joues, à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas caché mon visage face aux outrages et aux crachats. C'est que le Seigneur DIEU me vient en aide : dès lors je ne cède pas aux outrages, dès lors j'ai rendu mon visage dur comme un silex, j'ai su que je n'éprouverais pas de honte ».
Ce chant du serviteur souffrant s’adresse aux exilés de Babylone qui reprochent à Dieu d’avoir abandonné militairement Jérusalem : le messager de Dieu est au milieu d’eux, il ne se dérobe pas à la souffrance et aux humiliations, mais il garde sa confiance dans le Seigneur.
Les pensées de Dieu ne sont pas les pensées des hommes.
Ce qui me plaît dans ce passage est que les disciples sont tout comme nous, ils cherchent à connaître Dieu et son messager, ils cherchent à comprendre. Et ce qui vient dans ce cri de Jésus « arrière Satan », c’est un message de mise en garde. Ne faisons pas comme Pierre, n’allons pas imaginer un Dieu qui nous plairait, n’allons pas inventer. Pierre le voyait comme un chef de guerre qui allait de révéler un jour ou l’autre, il y croyait dans son messie grandiose et vainqueur, comme avaient pu le décrire un certain nombre de prophètes avant lui. Et Jésus lui dit non, ce n’est pas le bon bouquin, moi je me trouve dans le chant du serviteur souffrant, pas sur le trône d’Ézéchiel.
Bref une bonne leçon, pour tous.