Nous retrouvons Jésus face à la foule qui doit faire un choix entre pharisiens et disciples. Le sujet a changé : nous passons en un instant du choix de la foi et des risques encourus pour la proclamation de celle-ci à la question de l’argent. On se souvient que Luc, homme cultivé et brillant, vient d’un milieu aisé et vit au sein d’une communauté plutôt à l’aise. Dans son évangile, Luc va devoir assez souvent rappeler à ses camarades l’importance de la distribution de ses biens vers les pauvres et vers les petits, car il sent bien que ce n’est pas l’aspect le plus naturel de la pratique de ses amis. Luc veut éduquer un juste rapport à l’argent.
La tradition juive de l’héritage est qu’il existe bien une répartition des biens du décédé, le fils aîné recevant double part mais devant assurer l’existence des veuves et des enfants de la famille. Mais cette même tradition montre que les familles vont tenter de ne pas faire de séparation et de maintenir l’héritage en commun (troupeau, terre, …). Demander sa part n’est pas interdit (on se souvient du fils prodigue), mais c’est plutôt mal vu. Et Jésus qui refuse de jouer le rôle du rabbin traditionnel, épouse cette vision de la vie en indivision (qui sera d’ailleurs le modèle des premières communautés chrétiennes). Jésus tient à affirmer la priorité du partage sur la division, et Luc sous-entend que si l’homme vient demander de l’aide à un tiers, c’est parce qu’en fait il en veut plus que ce que le droit habituel voudrait bien lui donner.
La parabole n’a pas forcément la même origine que les versets précédents, mais elle met bien en valeur le fond du discours. Cet homme seul en lui-même (l’argent isole) ne pense pas à l’envie du Royaume, il est habité par la peur de manquer. Cette philosophie était tout-à-fait dans les mœurs grecs de l’époque : le Carpe Diem. « Mange, bois et fais l’amour avant la mort » était une sagesse populaire. Ce que relève Luc, c’est que cet homme ne pense pas à la crainte de Dieu, ni ne pense aux autres ; il est dénué de quelconque préoccupation éthique et s’est enfermé dans un égocentrisme insensé. Luc le dit clairement : on peut être propriétaire de tout, sauf de sa vie.
Ce texte a une dimension théologique en plus de son caractère moral, voir éthique : la mort de l’homme va arriver bien avant la parousie. Il faut donc que l’homme vive en pensant à l’après et mette dès aujourd’hui en œuvre les enseignements du Seigneur.
Luther va dire qu’être riche, c’est avoir la foi et que cette richesse du Royaume est donnée par Dieu, ce qui ne doit pas empêcher l’homme de chercher la richesse du royaume de l’argent : sa foi la lui fera distribuer.
Bon, ce n’est pas tout-à-fait ce que dit Luc.