Ce passage, qui se trouve aussi chez Marc et chez Matthieu, fait partie de ceux qui sont considérés comme les plus historiques, cad que la probabilité que Jésus ait parlé de cela comme cela est forte.
Le premier argument est simple : si quelqu’un fait des choses incroyables à l’époque, c’est qu’il est sous l’influence soit de Dieu soit de Satan, qui sont les deux seules entités supposées capables de faire des choses impossibles aux simples humains : l’exorcisme est largement pratiqué à une époque où la médecine ne sait pas faire grand-chose. Les juifs ont leurs propres exorcistes, les païens aussi, chacun en appelant à sa propre divinité. Jésus agace car il est le seul qui puisse lier à la fois une fonction de guérisseur, d’exorciste mais aussi de prêcheur. Et de prêcheur un peu trop brillant aux yeux de certains juifs. Il y a donc dans le public des pharisiens pour suggérer que si Jésus parle aussi bien aux démons, c’est qu’il est peut-être lui-même sous l’influence de Satan. Or Jésus leur explique la bêtise de cet argument en disant « un démon qui lutte contre des démons, ça ne tient pas la route ». Ou alors vous pouvez dire la même chose de vos exorcistes juifs. Luc reprend l’expression du « doigt de Dieu » qui est propre à l’Exode : Moïse essaie de convaincre Pharaon de laisser partir le peuple juif et Dieu l’aide à faire quelques signes incroyables pour forcer l’admiration et la crainte de Pharaon. S’ensuit une série d’évènements accomplis par le bâton de Moïse ( le bâton/dragon, les eaux du fleuve changées en sang, l’invasion de grenouilles, la vermine, la peste des troupeaux, les sauterelles), mais il s’avère que les magiciens de Pharaon parviennent à faire la même chose. Sauf dans le cas des moustiques, où les magiciens impuissants disent à Pharaon : là on ne sait pas faire, c’est le doigt de Dieu ! Matthieu lui parlera de l’Esprit.
Ce qui est certain, et c’est bien là le fond de la démonstration, si ce n’est Satan, alors ce ne peut être que Dieu qui tire les ficelles.
Le second argument est une ouverture sur Dieu qui ligote Satan, une image que l’on retrouve en Esaïe 24 et dans le livre de Tobie. Il est bon de rappeler aux juifs que Dieu est toujours vainqueur de Satan.
Quant à l’image de la dispersion, c’est celle du berger qui rassemble ses moutons quand le mauvais les disperse.
L’important est de montrer l’immédiateté de Dieu : si Jésus fait ce que Dieu peut seul faire, cela signifie la présence de Dieu aujourd’hui même et non pas un jour futur mais incertain de jugement dernier. Et dans ces temps de crise entre les communautés juives et chrétiennes, il est bon aussi d’insister sur le fait que Jésus ne remet pas en cause le Dieu unique des juifs, bien au contraire, et que donc essayer de repousser les chrétiens, c’est en fait diviser les brebis d’Israël. C’est pourquoi Marc, qui n’est pas encore trop confronté à cette guerre entre juifs et chrétiens, ne dit rien du « qui n’est pas avec moi… »