Attention danger ! Ce texte que l’on ne trouve que chez Luc prête à confusion, et de nombreux exégètes s’y sont cassé les dents. Le comprendre n’est pas très facile, et il convient de faire attention à ne pas se montrer trop sûr d’avoir la vraie solution, si on en trouve une.
Au premier abord, cet intendant est un voyou : non seulement il a dilapidé les biens de son maître mais il a aussi falsifié les comptes. Comment Jésus peut-il arriver à faire l’éloge de cet économe infidèle ? Jésus pourrait-il nous inviter à la fraude ? Luc cherche-t-il à choquer le bourgeois ?
Essayons tout d’abord de bien comprendre la ruse : en falsifiant les comptes des débiteurs, l’intendant va montrer que la société du maître est bien moins endettée qu’il ne le pensait d’abord, et donc le maître est content ; l’histoire ne dit pas si le maître va revenir en arrière et garder son intendant. En diminuant la valeur de la dette, les débiteurs sont contents puisqu’ils auront moins à rembourser : ils vont même remercier cet intendant qui sait les aider. Donc tout le monde est content.
Luc ne nous donne pas de clef pour interpréter ce passage, même si nous verrons demain qu’il parle de l’Argent trompeur.
Une des options serait bien entendu d’analyser le texte sur la base des deux mondes, les enfants de la Lumière et ceux des ténèbres, et ce dire que ce qui se fait dans le monde des ténèbres est exactement à l’opposé de ce qui se passe dans le Royaume ; dans ce cas Jésus nous fournirait un contre-exemple de ce qu’il convient de faire. Dans ce cas la pointe de la parabole serait l’intelligence, et Jésus nous inviterait à s’en servir souvent. Le Pape François parle volontiers de la ruse mondaine et de la ruse chrétienne, en faisant passer le message qu’il est important de mettre son intelligence au service de ses principes.
Luther a bien entendu récupéré le texte comme une preuve que seule la foi était l’accès à Dieu, peu importe ce que l’on fait dans le monde…ce qui nous paraît quand même un peu gonflé de nos jours.
Un texte retrouvé à Qumran fait remarquer que grâce au maître, l’intendant qui jusqu’alors gardait tout pour lui, s’est mis à redistribuer. Une des justifications de cette analyse serait qu’à l’époque, les intendants comme les percepteurs d’impôts se prenaient une marge assez large, surtout avec ceux qui ne pouvaient pas payer : l’intendant aurait donc mis la main à la poche sur ses deniers propres et non sur ceux de son maître. En fait un peu plus tard, un certain nombre de spécialistes ont plutôt pensé que cette analyse était une critique faite aux Esséniens (qui se donnaient le nom des fils de la Lumière) de ne vivre que renfermés sur eux-mêmes et de ne rien partager.
Une autre analyse, qui serait probablement plus juste, serait de dire que Luc nous invite à penser au lendemain. On se souvient que Luc doit commencer à préparer sa communauté au fait qu’ils vont mourir avant d’avoir revu le Christ, et qu’il convient donc de préparer l’après. Faire en sorte de nettoyer l’addition et de présenter plus propre devant le Seigneur est une preuve d’intelligence, comme cet intendant qui tenait à maintenir un réseau de connaissances pour pouvoir plus facilement rebondir.
Réfléchir avant, penser au lendemain...on se souvient de l’appel de Luc à craindre Dieu au chapitre 12 (ne pas avoir peur de ceux qui ne peuvent rien faire de plus que vous ôter la vie mais craindre plutôt celui qui peut vous envoyer dans la Géhenne).