J’ai pensé que l’évangile d’aujourd’hui est assez important pour justifier un détour de l’Exode : le texte est toujours difficile, il l’était du temps de Luc, il l’est encore de nos jours. Comment peut-on être chrétien si l’on est militaire, banquier, juge… ? Je ne vais pas apporter de réponse claire nette et précise à vos questionnements, je ne vais même pas vous suggérer de clés de compréhension. Rien de tout cela.
Déjà les premiers chrétiens avaient parfaitement compris qu’il s’agissait là d’un sujet difficile, mais plus encore, d’une spécificité distinctive des chrétiens. Ils vivaient alors dans un monde d’occupation par les romains, et ils étaient dirigés par la loi du talion d’une part (œil pour œil et dent pour dent) et la règle d’or d’autre part (ce que tu ne veux pas que les autres te fassent, ne le fait pas non plus).
Les juifs, qui étaient soumis à la même oppression romaine, discutaient beaucoup du comportement à adopter : fallait-il collaborer, fallait-il se battre comme les Zélotes, fallait-il séparer les mondes politiques et religieux (pour un juif qui considère que Dieu est le Roi, c’est un peu difficile) tout en privilégiant ses frères, fallait-il maintenir une distance physique et afficher une haine envers l’occupant (ce que faisaient les Esséniens) ? La miséricorde du peuple élu doit-elle aller jusqu’aux impies ?
Pour les païens remplis de culture grecque, ce n’est pas plus facile, même en appliquant le principe de dualité. Il faut savoir montrer de la miséricorde pour les militaires vaincus mais on ne peut permettre à un esclave de haïr son maître !
Le passage de Luc (et de Matthieu dans une certaine mesure) ne reste pas superficiel, on y aborde plusieurs sujets : l’amour des ennemis, le refus de sa propre défense, la règle d’or (exprimée de manière positive certes), la comparaison avec les pécheurs, l’amour des ennemis comme signe distinctif des chrétiens, la miséricorde, ne pas juger, donner sans mesure. Difficile de dire qu’on a mal compris.
Luc 3, 14 Des militaires lui demandaient : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Il leur dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde. ». Aucun appel à jeter les armes.
Paul n’est pas plus explicite : Romains 12.14 « Bénissez ceux qui vous persécutent ; bénissez et ne maudissez pas ». Romains 12.19 « Ne vous vengez pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : A moi la vengeance, c'est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. »
La clef que nous suggère Luc est dans notre amour de Dieu ; il faut que l’on arrête de regarder les autres (et nos ennemis) dans une relation binaire d’homme à homme, et ne jamais oublier que nous ne sommes jamais seul, mais toujours dans une relation d’amour avec Dieu. Quelconque relation avec un individu devrait être envisagée sous la forme d’une relation à trois. Il faut sortir de la relation réciproque calculée pour ne privilégier que notre relation à Dieu. Quand nous aimons notre ennemi, il n’est déjà plus notre ennemi. Notre ennemi n’est peut-être pas l’ennemi de notre ami Dieu.
Augustin se basait sur Luc 3 pour justifier la guerre en disant qu’effectivement, Jésus n’a jamais condamné de militaires, il leur a juste intimé de ne pas faire les poches de leurs ennemis et de se contenter de leur solde. Pour Augustin la non-violence est une aspiration intérieure qui ne doit pas se répercuter sur les actions professionnelles militaires : une résistance modérée ne peut que favoriser l’ennemi.
St Thomas d’Aquin a voulu se lancer dans la définition d’une guerre juste : qu’elle soit déclenchée par un souverain respecté et respectable, qu’elle soit menée pour le bien commun et que les chefs aient des intentions sincères. Calvin a voulu faire la même définition d’une guerre juste, mais on comprend bien que cela ne mène à rien.
Il n’y a pas de solution. Accepter une quelconque responsabilité sociale, professionnelle ou politique nous met inévitablement en porte-à-faux avec ce sermon sur la montagne. On peut certes choisir de devenir un apôtre activiste de la non-violence, mais…
Alors voilà, débrouillez-vous ! Vous savez tout ce qui est écrit et que très probablement Jésus a dit sur le sujet. Alors à vos marques !