Voici donc le fameux passage dont je vous parlais il y a peu de temps à propos des signes, de Jonas et de la Reine de Saba. Un passage que personnellement j’aime bien. Vous avez compris que Luc n’aime pas trop les riches, il y a dans ce passage (qui lui est exclusif) un petit ton revanchard…C’est pour cela que pendant des siècles l’Eglise a favorisé Matthieu, qui lui au moins évite de dire du mal des riches bienfaiteurs de l’institution !
Ce texte a un double message, mais il est avant tout une excellente description du monde juif de l’époque de Jésus, ou des évangélistes. Par exemple :
- Le manteau de laine pourpre coûte très cher car il faut beaucoup de colorant (murex, qui vient d’un coquillage) cher. De même le lin fin est cher, ce qui signifie chez cet homme une certaine ostentation absolument condamnée par les juifs, comme par les Grecs. On remarquera que les festins sont brillants, c’est une maison qui ne manque pas de nourriture.
- Le nom de Lazare veut dire « celui que Dieu aide » ; attention, celui-ci n’a rien à voir avec le frère de Marie et de Marthe dans l’évangile de Jean. Le riche n’a pas de nom.
- On suppose que le pauvre a faim ; on pense bien entendu aux miettes de pain de la Syro-Phénicienne. Si les chiens, qui sont considérés comme des animaux impurs dans la bible, viennent lui lécher les ulcères, c’est qu’il est presque nu. On se souvient de Esaïe 58,7 sur le partage du pain et du vêtement : même si aucun reproche n’est fait au riche, il va de soi qu’il n’applique absolument pas les commandements.
- Les deux meurent en même temps : on remarquera que le pauvre est emmené par des anges, alors que le riche est enterré. C’est ainsi que Dieu évite à ce pauvre Lazard la honte d’une sépulture dans une fosse commune.
- Au côté d’Abraham : la tradition juive parlait d’un festin au paradis, ou les bons venaient s’attabler avec les Pères de la foi, Abraham, Moïse, Élie…
- Le riche appelle Abraham « mon Père », ce qui veut dire qu’il reconnaît bien en Abraham l’ancêtre de la religion juive, il connaît donc les écritures. Il parle à Abraham et non à Lazare, et lui demande en fait de se faire servir par Lazard : hé oui, quand on est riche, on prend de mauvaises habitudes
- Abraham explique l’inversement de situations dans le séjour des morts, sur la base des béatitudes. Le grand abîme est une invention de Luc, on n’en parle jamais dans l’Ancien Testament.
- Le riche comprend que pour lui c’est cuit (si j’ose dire), et c’est donc pour ses frères qu’il supplie Abraham. Au séjour des morts, le choix du côté est déjà fait, le jugement a déjà été prononcé, ce jugement qui obsède tant nos amis juifs
- Le riche insiste encore, mais Abraham lui dit « ils ne seront pas convaincus »
Il y a donc deux messages. Le premier, tout en délicatesse car rien ne lui est officiellement reproché, est qu’il sera difficile pour un riche d’entrer au Royaume des cieux (autant qu’au chameau…), surtout s’il connaît l’écriture mais qu’il ne l’applique pas. La charité rend plus humain.
Le second est qu’il n’y a pas d’alternative à la Loi et aux Prophètes, tout est écrit.
Particulièrement dans le Deutéronome 6,2-3, ou on explique bien ce qu’il faut faire pour couler des jours longs et heureux, juste avant le Schéma Israël en Dt 6,4.
Le spectaculaire ne sert à rien, et Jésus laisse entendre que la résurrection ne sert à rien. Ce qu’il convient d’expliciter quand même :
- Dieu n’a pas ressuscité n’importe quel mort, il a envoyé son fils qui auparavant avait quand même beaucoup prêché.
- Le spectaculaire accroche l’attention, il ne convertit pas les cœurs
- Un ressuscité n’apporte aucune information extraordinaire qui ne soit pas déjà dans l’écriture.