Nous allons donc commencer notre préparation de la fête de Pâques par une lecture assez sérieuse de l’évangile de Jean. Rappelons-nous qu’il s’agit du plus tardif des évangiles (vers les années 100) et qu’il correspond à la foi d’une communauté que l’on appelle johannique, qui avait pris quelques distances avec les communautés de Pierre qu’elle rejoindra ensuite.
Ce passage fait partie d’un chapitre qui raconte la rencontre de Jésus avec Nicodème, un juif assez savant qui est venu visiter Jésus de nuit pour qu’on ne le repère pas avec l’objectif de pouvoir discuter en tête-à-tête à propos de l’enseignement de Jésus. À Nicodème qui lui dit « nous savons que tu es un maître qui vient de la part de Dieu », Jésus répond du manière assez énigmatique « à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu ». Et c’est à partir de cette phrase énigmatique que les deux hommes vont discuter, une conversation probablement imaginaire mais que Jean va développer pour nous.
Je vous propose de reprendre le texte pas-à-pas :
« Et comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l'homme soit élevé afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle ».
Jean va reprendre un passage du livre des Nombres (Nb 21, 8-9) : Dieu passablement agacé des récriminations du peuple juif qui n’apprécie guère sa traversée du désert, leur envoie des serpents dont la morsure est mortelle. Alors que Moïse demande de l’aide, Dieu lui répond de fondre un serpent d’airain (de bronze) autour d’un bâton de bois et de le maintenir dressé en l’air : les juifs qui seront mordus pourront regarder le serpent pour être sauvés. Jean développe cette image magnifique de Jésus cloué au bois de la croix comme le serpent d’airain : il faut bien comprendre que lors de la crucifixion, on attache les bras du condamné sur la barre horizontale et que l’on hisse cette barre avec des cordes le long de l’axe vertical, dans un mouvement que Jean qualifiera d’« élévation ». La croix va d’une part mener à la mort du Jésus terrestre mais en même temps, déboucher sur la glorification de Jésus-Christ. Jésus cherche à montrer à Nicodème qu’il lui faut ouvrir les yeux sur le changement que Dieu attend dans la foi de ses fidèles. Ce n’est plus la vue qui sauve, c’est la foi, et le salut, c’est la vie éternelle avec le Fils de l’Homme. Aux juifs qui veulent bien considérer Jésus comme un envoyé de Dieu, un messie, un prophète, mais qui refusent d’accepter l’identité de Jésus comme Fils de Dieu, il explique qu’il n’y a pas de salut sans Jésus-Christ. Le salut pour les juifs était dans l’obéissance à la Loi ; et Jésus leur dit que non, le salut vient dans la foi en lui, et dans l’acceptation de sa nature de Fils de Dieu. Croyez en moi si vous voulez être sauvés. Hum, pas facile pour un juif.
Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Le don du Fils est une des idées fortes de Jean. Dieu aime le monde mais le monde aime les ténèbres et refuse de le reconnaître. L’amour de Dieu pour les hommes est sans limite, surabondant et gratuit. C’est alors que Jésus va insister auprès de Nicodème : si vous considérez Jésus comme le messie, alors vous vous attendez à ce qu’il vienne comme juge pour le jugement dernier, un messie eschatologique ; hé bien c’est loupé, vous êtes dans l’erreur, ce messie-là ne vient pas pour juger mais pour sauver. C’est une fois encore une remise en question profonde de la foi juive. Jésus n’est pas un messie quelconque, il est le Fils de Dieu, et croire qu’il est le Fils de Dieu sauve l’homme de la fragilité de sa vie.
Qui croit en lui n'est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
L’importance du jugement dernier pour les juifs est primordiale : c’est en fonction de leur obéissance à la Loi que je juge eschatologique va leur attribuer la vie éternelle. Jésus assène une claque magistrale à Nicodème : il n’y aura pas de jugement dernier, oublie le jugement dernier ! Il n’y a qu’une seule chose qui compte pour être sauvé : croire que Jésus est effectivement le Fils de Dieu. Si tu y crois, pas de problème, tu ne vas pas avoir besoin de comparaître devant le juge, tu as déjà gagné ta place. Si tu n’y crois pas, alors tu n’as pas besoin d’attendre le jugement dernier car tu es déjà jugé, ton refus de croire t’a déjà condamné.
Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l'obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées. Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu. »
La dualité et l’existence du bien et du mal sont classiques dans le culture grecque et Jean apprécie particulièrement ces termes de lumière et d’ombre. Il n’y a pas besoin d’un messie pour juger : celui qui est dans le bien n’a pas besoin de se cacher, il peut se montrer dans la lumière.
Comment ne pas comprendre Nicodème ? Lui qui venait tout simplement pour discuter un peu et comprendre qui était exactement Jésus, le voilà qui se retrouve avec la naissance d’en-haut et un jugement dernier passé à la trappe. La rencontre avec Jésus vient le frapper de plein fouet. Il pensait que le salut était au bout d’une vie entière basée sur la Loi. Jésus est Dieu qui sort du bois, qui se montre en pleine lumière, car les œuvres sont bien accomplies par le Père, lui et le Père ne font qu’un.
Chez Jean il n’y a pas de place pour les incertains, pour les mous, pour les agnostiques : tu croies en Jésus Fils de Dieu, ou tu n’y croies pas. C’est simple en fait, mais pour un docteur de la Loi, cela représente beaucoup. On verra à la fin de l’évangile que Nicodème a pris son temps, certes, mais qu’il sera au rendez-vous pour donner au corps de Jésus un traitement de roi.