L’Eglise de Rome fête aujourd’hui la solennité du Christ Roi de l’Univers. Une fête instituée par Pie XI en 1925 et qui clôt l’année liturgique ; cette année, nous avons droit à l’évangile de Jean. J’insiste : il s’agit d’une fête instituée tardivement par un Pape pour glorifier la personne de Jésus-Christ. Nous allons voir que les fondements de cette fête dans les Écritures sont plutôt minces : Jésus insistait bien plus sur le poids du service que sur une supposée royauté.
Il faut tout d’abord faire une distinction entre le Royaume de Dieu et le royaume du Christ : le premier serait l’espace régi par Dieu depuis la nuit des temps, ce qui englobe bien plus que notre planète, alors que le second serait plutôt limité à l’ensemble des hommes qui croient en Jésus, Fils de Dieu. L’appellation Christ-Roi viendrait dit-on des chrétiens persécutés au Mexique par les francs-maçons dans les années 1926/1929 et qui criaient « Viva Cristo Rei ».
Psaume 93.1 « Le SEIGNEUR est roi. Il est vêtu de majesté. Le SEIGNEUR est vêtu, avec la force pour baudrier. Oui, le monde reste ferme, inébranlable. Depuis lors ton trône est ferme ; depuis toujours tu es. »
Ezéchiel 34.24 « Moi, le SEIGNEUR, je serai leur Dieu et mon serviteur David sera prince au milieu d'eux. Moi, le SEIGNEUR, j'ai parlé. »
La figure juive du Messie qui viendra pour le jugement dernier assis sur son trône de gloire appelle bien-entendu à un concept de Roi des juifs ; on va donc la retrouver en intégralité chez Matthieu dans son évangile Mt 25,31 « Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors il siégera sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres. Il placera les brebis à sa droite et les chèvres à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. » On voit bien que si le titre n’est pas expressément prononcé, tout le monde l’entend.
Luc en fera un passage resté fameux, celui de l’entrée à Jérusalem 19,38 « Ils disaient : Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! Quelques Pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus : « Maître, reprends tes disciples ! » Il répondit : « Je vous le dis : si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront. »
Revenons maintenant à notre court passage de Jean. Nous sommes au début de la Passion. Pilate qui ne supporte pas les juifs leur a retiré le pouvoir de mettre quiconque à mort, et c’est donc lui qu’ils viennent trouver pour qu’il puisse condamner Jésus. Or Pilate est obligé de respecter le droit romain qui veut que soit conduite une instruction complète et documentée, il doit donc soumettre Jésus à la question. On va donc assister à une magnifique partie d’entretiens, avec un Pilate qui va faire en permanence la navette entre le palais où se trouve Jésus et la cour où se trouvent les juifs (ceux-ci ne voulaient pas entrer dans une maison impure une veille de sabbat). On remarquera qu’il n’y a pas d’accusation claire, ni même formelle. Pilate va donc à la pêche aux arguments.
Dès la 1ère question (es-tu le roi des juifs ?), Jésus va mettre Pilate en porte-à-faux en l’obligeant à reconnaître qu’il est sous la coupe des juifs qui sont dehors ; et Pilate va immédiatement se défendre de faire partie du clan des juifs, alors qu’en fait, il est sous forte influence. Pour Pilate, le mot royauté ne peut avoir qu’une connotation politique, il se montre absolument fermé à toute approche transcendantale. La réponse sur le monde ne veut rien dire pour lui, car il ne connaît pas d’autres mondes. Or Jésus répond clairement sur sa royauté, il ne se défile pas, mais c’est pour lui une royauté eschatologique, d’après la mort. Jésus vient du royaume de Dieu (on se souvient de sa discussion avec Nicodème en Jn 3.3, « que seul celui qui vient de là peut connaître le Royaume de Dieu »), même si son pouvoir s’applique effectivement sur des personnes qui vivent dans le monde que Pilate connaît.
On voit bien que la notion du royaume du Christ n’est pas très développée chez Jean, et que cette appellation de Christ-Roi est bien plus le fruit de la piété populaire que des évangiles.
Au v.38, nous aurons la fameuse question-pirouette de Pilate : « qu’est-ce que la vérité ? » Une question qui s’applique parfaitement bien à notre fête aujourd’hui : je ne suis pas certain que ni Jésus ni Jean auraient été très enthousiastes.