Impossible de laisser de côté cet évangile exclusif de Luc qui a suscité tant de commentaires et d’homélies. Le texte regroupe en fait deux sujets importants : comment accéder à la vie éternelle et qui est mon prochain. Luc va construire sur la première question la réponse de la seconde par un commentaire éthique de toute importance.
Sur l’accès à la vie éternelle, le scribe fait une bonne réponse de technicien de l’Ecriture en citant l’amour de Dieu (Deutéronome 6,5, le schéma Israël), et aussi le Lévitique 19, 18b et 34), ces deux passages résumant parfaitement la pensée de Jésus. Jusque-là, aucune surprise, Marc et Matthieu ont écrit la même chose. C’est la foi qui sauve, la connaissance des textes et l’obéissance aux commandements.
Le problème du dernier commandement, tel qu’il est vécu par les juifs, c’est la définition du mot prochain. Et il y a au temps de Jésus de grandes discussions rabbiniques pour dire si le prochain est le compagnon de la synagogue, le voisin, le cousin, le juif étranger…et attention au fait que « aimer » dans l’Ancien Testament veut plus dire « ne pas se venger » que faire référence à un sentiment d’affection. Luc va donc utiliser cette parabole du bon Samaritain pour donner son interprétation de la définition du mot prochain, en faisant passer la correcte attitude devant l’obéissance stricte aux commandements pour gagner la vie éternelle. Et la parabole est un exemple parfait de rédaction complète et précise, avec une action en 5 étapes : panser, transporter, héberger, payer et prévoir une suite. Et en ce sens, le Samaritain a un comportement exemplaire. Et pourtant, Dieu sait que les juifs de Jérusalem tenaient les Samaritains en piètre estime !
On pourrait penser que si le prêtre et le lévite ont fait un détour, c’est à cause de l’impureté des cadavres : en ne l’approchant pas, les deux compères auraient respecté la Torah à la lettre. Mais l’impureté concerne les juifs qui vont vers le Temple, pas ceux qui en reviennent. Or il est bien précisé qu’ils descendaient, cad qu’ils avaient quitté le Temple (situé en hauteur par rapport à Jéricho) …
On pourra s’amuser du fait que Jésus ne fait rien dans ce passage, il n’est pas question de suivre son exemple, juste de se laisser conduire par son raisonnement.
La clef du passage est dans le définition du prochain : alors que le juif cherche à savoir qui est son prochain, Jésus demande au juif de qui il pense être le prochain. Car en effet, toute proximité est réciproque. La préoccupation du juif est d’avoir tous les éléments nécessaires pour appliquer correctement la Loi, la réponse de Jésus est de savoir où doit se trouver l’amour.
La question de Jésus est bien plus sournoise, elle est de se demander : qui peut dire de toi que tu es son prochain ? Non pas qui est ton prochain, mais de qui es-tu le prochain. Qui attend quoi de toi ?
C’est comme cela qu’on passe de la théologie à la morale. Il n’est nul besoin de croire pour faire preuve d’éthique, mais qui veut s’afficher comme chrétien se doit d’avoir avant tout un comportement éthique, ne serait-ce que pour montrer qu’il sait ce que veut dire le mot « aimer ».