Nous lisons aujourd’hui un passage exclusif de Jean, assez étonnant sur de nombreux aspects et qui a donné libre cours à la créativité théologique de l’église. Nous essaierons donc de rester factuels, dans le mesure du possible. Le texte se divise en 4 passages successifs : une introduction, la description de la scène du lavement des pieds, une 1ère interprétation avec Pierre et une seconde interprétation grâce à Jésus.
Il me paraît important de rappeler deux ou trois choses de l’époque de Jésus. Le lavement des pieds est une habitude courante au 1er siècle. A la maison, il se fait avant le repas comme un signe d’accueil ou d’hospitalité : il est exécuté par un esclave (non-hébreu car un commentaire talmudique d’Exode 21,2 spécifie ce point), par les enfants, par l’épouse parfois, éventuellement par les disciples d’un grand maître. A la synagogue, on fait ce geste avant de prier : cela fait partie de ce qu’ Aaron préconise à ses fils de faire avant d’entrer dans le Temple (Exode 30.19) et c’est encore une pratique courante chez les Musulmans. Le geste de se dépouiller de son vêtement et de se ceindre le dos est l’attitude typique du serviteur au travail, c’est tout simplement pour se donner plus de facilité dans les gestes. Certains exégètes verront dans ce geste le dépouillement de Jésus devant la croix, l’anticipation de sa nudité…
Il y a dans cette scènes deux points qui ne collent pas : cela se passe au milieu du repas et non avant, et c’est le maître lui-même qui s’y colle.
Pierre va réagir violemment car il n’est pas possible pour lui d’imaginer son maître abaissé à la tâche d’esclave sur ses propres pieds. Jésus n’expliquera pas son geste, il dira juste que c’est un geste nécessaire pour qui veut continuer à le fréquenter Jésus. Pierre tente alors de se rattraper en insistant sur le besoin de laver aussi la tête et les mains : il a cru que ce geste faisait partie d’un rituel de purification, comme certains le font avant la prière (voir le cas des musulmans). Et à cette proposition, Jésus répondra que ce n’est pas nécessaire. Pour lire entre les lignes, Jésus va d’abord expliquer que la séparation d’avec lui est nécessaire, qu’il faut faire le deuil de Jésus pour une vie durable avec le Christ. Il va expliquer ensuite que le service aux autres est plus efficace que les rites pour vivre avec Dieu, le salut par l’humilité plutôt que par la Torah.
La 2ème interprétation est donnée par Jésus lui-même, qui explique que la grandeur de sa souveraineté et de son autorité s’accomplit dans le service aux autres, et que s’il est capable de s’abaisser à le faire, alors ses disciples peuvent le faire aussi. C’est le rôle de l’exemple.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’en dire plus, je laisse le soin aux membres du clergé de développer des épitres enflammés sur les symboles potentiels qui pourraient éventuellement se trouver dans ce passage. Ce qu’il convient de retenir en revanche est la chose suivante : Jean a inclus la description de ce lavement de pied (imaginaire ou pas) au début de la passion du Christ, et le rappel de la trahison de Judas qui vient juste après au v.18 le prouve, le lavement des pieds se situe juste avant la croix. Il y a bien entendu un parallèle entre l’exécution de Jésus et le sacrifice de l’agneau pascal de la religion juive ; au passage des animaux par la piscine de Bethesda (on se souvient de la guérison du paralysé) avant la porte des brebis correspond bien entendu ce lavement des pieds. Mais au-delà de cette construction littéraire, Jean nous dit que ce qui va se passer dans les heures qui viennent, Jésus le fera par amour. Et c’est ce message d’amour pour les autres, pour le plus petits, que Jésus entend bien laisser à ses disciples comme héritage à perpétuer.