Nouveau départ, début d’une nouvelle histoire, une deuxième création, comme si la première n’avait pas eu lieu : c’est normal puisqu’il s’agit maintenant de la version yahviste, que l’on croit la plus ancienne. Les prêtres ont collé leur version en amont, c’est tout simple, il suffisait de modifier la numérotation.
Cette version est assez différente de ce que nous avons lu les jours précédents : ici pas de chaos, Dieu a déjà fait la terre et le ciel, avec moins de détails, et si la terre est déserte c’est parce que Dieu n’a pas fait pleuvoir et qu’aucun homme n’a travaillé le sol. On comprend que la surface de la terre est naturellement humide, certes, mais que rien ne pousse. Dans cette version de la terre, il semblerait que la pluie et le travail de l’homme soient indispensables au règne végétal. Nous sommes donc dans la culture de l’homme paysan, agriculteur et sédentaire.
Dieu fait l’homme à partir de terre, il le modela comme un potier l’aurait fait : l’homme est donc fabriqué, ce qui nous confirme encore une culture de village. Dieu donne vie à l’homme en lui insufflant l’haleine de la vie : l’homme vivant est donc un mélange de terre et d’esprit, un peu de nature et de divin. L’exégète Wénin dira l’humus et l’humain. Contrairement au premier récit, l’homme est le premier à être créé (au lieu d’attendre le 6ème jour) et son rôle est de cultiver et de garder le jardin d’Eden (et non de dominer les animaux).
Dieu plante un jardin pour y mettre l’homme ; ce jardin a un nom de plaisir en hébreu, Eden, et dans la Mésopotamie, l’Eden est le symbole d’un jardin idéal (on trouve des phrases sur le jardin d’Eden en Esaïe 51 et en Ezéchiel 28). Dieu y fit germer des arbres fruitiers, ainsi que deux arbres en particulier. L’arbre de la vie et celui de la connaissance du bien et du mal. On trouve l’arbre de vie dans l’épopée de Gilgamesh (une plante, si tu arrives à t’en emparer, tu auras trouvé la vie prolongée) et dans plusieurs Proverbes, alors qu’il n’y a rien concernant un éventuel arbre de la connaissance du bien et du mal. Certes il existe une science biblique du bonheur et du malheur (Deutéronome1.39 « Et vos enfants, dont vous disiez qu'ils seraient capturés, vos fils qui ne savent pas encore distinguer le bien du mal, eux ils y entreront. C'est à eux que je le donnerai, c'est eux qui en prendront possession » ou en Esaïe 7.15 « De crème et de miel il se nourrira, sachant rejeter le mal et choisir le bien »), mais ce n’est jamais sous la forme d’un arbre. On peut se demander d’ailleurs s’il s’agit du bien et du mal ou de l’utile et du nuisible.
On ne sait pas très bien en fait s’il y a deux arbres ou un seul : en Gn2, l’arbre du bien et du mal est interdit, en Gn 3.3 c’est l’arbre du milieu (l’arbre de vie) qui est interdit, en Gn 3.5 l’arbre du milieu est celui du bien et du mal et en Gn 3,22, c’est l’arbre de vie qui est interdit…peut-être n’y avait-il qu’un seul arbre dans une première version, et qu’ensuite un auteur en ait ajouté un deuxième.
Nous avons enfin la description de 4 fleuves qui sortiraient du jardin d’Eden : le premier est inconnu mais baignerait l’Arabie connue pour ses pierres précieuses, le second serait le Nil qui baignerait l’Ethiopie, les deux autres sont bien connus (Quand la poule voit le tigre, l’œuf rate). Le monde entier serait baigné du bonheur de l’Eden, le chiffre 4 devient symbole d’universalité.
De récentes analyses de texte proposent que cette partie ne soit pas en fait un texte yahviste ancien, mais plutôt un texte postérieur à Gn1,1-11 et dont le rôle serait de donner des détails quant aux évènements de la création de l’homme ; ceci parce que plusieurs passages font penser à certaines sagesses et à certains proverbes anciens. Certains pensent que Gn 2,4 serait une réponse au texte de Gn1, ce dernier ayant été produit par des prêtres juifs revenus de l’exil Babylonien et ayant centré leur histoire sur le calendrier et l’institution du sabbat (on pense aussi aux crues des fleuves). La réponse serait donnée par des juifs qui seraient eux restés en Palestine et pour lesquels le travail des champs en fonction des chutes de pluie fait partie intégrante de leurs préoccupations. On trouve aussi les idées d’hommes faits de poussière et d’argile dans certains textes récents de la Bible, 3ème Esaïe et Jérémie. Gn 2-3 seraient centrés sur les problèmes de la condition humaine, quand Gn1 serait plutôt une vue cosmique de la création.
L’humidité du sol, dont il est fait rapidement référence, est en fait indispensable au modelage de l’homme : sans eau, la poussière ne pourrait prendre du volume. On verra plus loin que lors du déluge, l’eau va dissoudre les hommes à cause de leur nature glaiseuse.