Voilà une controverse qui n’en est pas une, mais plutôt l’expression d’un accord parfait, ou presque. L’association du commandement de l’amour de Dieu (Shema Israël de Deutéronome 6.4) avec celui de l’amour du prochain (Lévitique 19.18) était assez courant dans le judaïsme hellénistique, cad dans les années -300/-100. Jésus n’est pas vraiment révolutionnaire sur ce point, il suit la stricte doctrine juive de l’époque. Depuis pas mal de temps, les juifs se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient se réduire à une passion sans fin pour Dieu sans se préoccuper du reste du monde. Pour Dieu la piété et la sainteté ; pour l’homme, la générosité et la justice.
Ce qui est plus nouveau en revanche est de donner un ordre hiérarchique aux commandements de la Loi, et de placer ces deux-là en haut de la liste. Le scribe en rajoutera encore en plaçant les sacrifices en bas de cette liste, ce qui rappelle le passage du livre d’Osée 6.6 « car c’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices »
L’évangile de Marc a été rédigé à Rome mais il rapporte les éléments le plus forts de la tradition orale de l’église de Jérusalem. Ce passage ainsi que ceux qui le précèdent n’ont presque pas été retouchés par Marc (au contraire de ceux qui vont suivre) ; ils sont donc le reflet presque intact de ce qui se racontait dans l’église de Pierre dans les années 40. A cette époque, l’église chrétienne ne met absolument pas en cause les commandements de la Torah : si elle s’oppose assez fermement au Temple et à ses grands-prêtres, elle ne montre aucune intention de rejeter la Loi. Au travers de ces controverses, elle va certes toujours mettre en avant la supériorité de Jésus quant à la compréhension de la Loi, sans jamais la mettre en cause. Mais elle va chercher à maintenir une certaine coopération avec les scribes et les lettrés, car elle va chercher à toujours intégrer l’enseignement de Jésus dans une référence biblique : les scribes, ou en tout cas quelques scribes, vont être la caution savante de la religion chrétienne.
A Rome, les relations avec les juifs sont moins bonnes et Marc va montrer une opposition complète à l’ensemble de l’encadrement juif. On sait que chez Luc et Matthieu qui vont vivre l’extinction du temple et le rejet des synagogues, le trait sera encore grossi.
Petit point d’explication technique sur le texte du Schéma Israël : le cœur est le principe de la vie sensible, intellectuelle et morale. L’âme désigne la vie. L’intelligence et la force renvoie aux énergies rationnelles et psychologiques. Ce sont donc toutes les facultés humaines qui sont au service de l’amour de Dieu, les principes vitaux et les énergies intimes de l’homme.