Ce texte est un peu compliqué.
Il est en 2 parties : la première, cette histoire de foi qui permet de bouger les sycomores, se retrouve chez Matthieu qui parlera lui de bouger les montagnes (Mt 17, 20). Si les 2 images choisies par les évangélistes montrent bien la puissance de la foi en mettant face à face la taille de la graine de moutarde et l’énormité de l’action, elles n’en demeurent pas moins l’image de l’inutile. Car mettre un arbre dans l’eau n’est guère plus utile que de changer une montagne de place.
La deuxième partie nous décrit l’ordre des choses au temps de Jésus, dans les relations entre un seigneur et son serviteur (on pourrait dire aussi le maître et son esclave, sans qu’à l’époque personne ne trouve rien à redire). Et donc Luc nous remet un peu à notre place, au cas où nous serions en train d’attendre un remerciement quelconque de Dieu pour faire selon sa volonté. C’est le serviteur qui remercie le maître et pas le contraire. On se trouve comme hier, même si le chapitre est assez éloigné, en face de la notion de gratitude. Jésus dit à ses disciples : certes, la foi donne des pouvoirs exceptionnels, mais ils doivent être utilisés à l’œuvre du Seigneur, pas pour rouler les mécaniques en déplaçant des arbres inutilement. Si le serviteur fait bien un travail utile, ce n’est pas pour autant qu’il est devenu indispensable ; la traduction de la TOB est sympathique quand elle dit « serviteur quelconque », car le terme grec est « inutile ».
Ce schéma de la relation entre le maître et le serviteur, Luc va l’utiliser plusieurs fois, mais pas de la même façon. En Luc 12,37 par exemple : « Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera en train de veiller. En vérité, je vous le déclare, il prendra la tenue de travail, les fera mettre à table et passera pour les servir. » Dans ce cas, le seigneur casse le protocole. En Luc 22,24, alors que les disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand, Jésus dira : « Mais que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert », ce qui laisse entendre que Luc (Jésus ?) voit une hiérarchie inversée qui une fois encore casse les codes de l’époque. Mais aujourd’hui, pas de révolution. On ne peut constater une fois de plus que les évangélistes jouent avec les mots sans accorder beaucoup d’importance à leur sens.
Bref pas de médaille avec Dieu.
Nous remettre à notre place, Luc sait très bien faire cela.