Nous avons déjà étudié le texte de Marc le 14 janvier et celui de Luc le 6 décembre dernier. On voit dans ce passage se dessiner la perspective du blasphème comme chef d’accusation contre Jésus, parlons-en. Le blasphème chez les juifs est une faute très grave, mais son approche est très compliquée. Il existe 3 textes de base :
Ex 20,7 : Tu ne prononceras pas à tort le nom du Seigneur ton Dieu
Ex 22 : Dieu tu ne l’insulteras pas, et tu ne maudiras pas celui qui a une responsabilité dans ton peuple
Lv 24 : fais sortir du camp celui qui a insulté. Que tous ceux qui l’ont entendu imposent leurs mains sur sa tête et que toute la communauté le lapide.
De toute évidence, ces 3 textes manquent un peu de précision, sauf quand à la lapidation. Et même dans ce cas, les juifs se verront retirer leur droit de tuer en l’an 30, ce qui rend l’hypothèse de la condamnation caduque. On comprend bien que ce qui est en cause est la critique du chef suprême, le « Elohim » de l’Exode pouvant être considéré comme le magistrat, comme le dieu ou comme le chef. Donc nous sommes typiquement dans le cas où les juifs vont s’en donner à cœur joie pour y penser de nombreuses fois.
A l’époque de la rédaction de la Mishna (+200/300), on va donner des détails : il faut avoir parlé à haute voix, il faut avoir choisi le nom du tétragramme YHWH (pas de blasphème avec Elohim), il faut l’avoir inclus dans une malédiction, il faut avoir été clairement entendu par au moins 2 témoins, et il faut encore que ceux-ci aient accepté de leur libre choix à venir témoigner devant le tribunal…Voilà de quoi réduire le nombre de cas.
En fait le gros du travail va être fait vers l’an 1170 par un certain Maïmonide qui dans un souci de législateur va regrouper plusieurs documents de la Bible et du Talmud de Babylone pour en faire une synthèse. Il y aurait deux conceptions du blasphème : la première au sens large serait toute action contraire à la volonté de Dieu ou toute proclamation de l’impouvoir de Dieu. La seconde plus restreinte serait de parler de Dieu avec mépris.
Le blasphème fait partie des 7 lois noahides, celles qui ont été transmises aux fils de Noé, celles qui seraient applicables par toute l’humanité, et donc par les non-juifs aussi : ne pas manger de la viande découpée sur un animal vivant, ne pas blasphémer, ne pas voler, installer des tribunaux pour juger, ne pas transgresser d’interdits sexuels, ne pas pratiquer l’idolâtrie, ne pas assassiner.
Dans le livre des commandements, les fameux 613 dont les 365 interdits, il y a 4 commandements positifs importants : Croire en Dieu créateur de toute chose, croire en l’unicité de Dieu, aimer Dieu et croire en lui, mais en le craignant et en le révérent (Dt 6,13 tu craindras l’Eternel ton Dieu). Le blasphème serait donc le non-respect de ce 4ème commandement, prononcer le nom de Dieu serait refuser de le craindre. Mais attention, un non-croyant qui blasphème est aussi coupable.
Voilà, nous nageons en pleine rhétorique juive ; on comprend bien que les juifs ne prennent pas beaucoup de risque à viser le blasphème : la définition en est extrêmement floue, mais la punition est sans appel.